samedi 14 février 2015

De quelques problèmes concernant la pratique du chant byzantin dans les églises orthodoxes des pays francophones

par l'Archimandrite Cassien

Tout d'abord - et ce n'est pas pour effrayer les chantres débutants ou à venir  - il existe environ dix-mille chants d'église qui, pendant une période de 60 ans environ, seront tous chantés dans une même paroisse - attendu que l'on chante absolument tout ce qui doit être chanté, tous les jours de l'année et à tous les offices.
Heureusement, il n'y a pas autant de mélodies à apprendre, car un grand nombre de chants se chantent sur le même air, et de toute manière, rares, sinon inexistants, sont les chantres qui chantent pendant 60 ans de leur vie.
Il faut savoir que cet immense corpus de chants d'église, composés à l'origine en grec, peut être réparti en trois catégories selon leur type de conduite mélodique. mais les deux dernières tendent à se confondre : 

1. Les idiomèles ou mélodies particulières

Ce sont des chants qui ont leur mélodie propre, à nulle autre pareille, composée donc uniquement pour un seul texte. Tel est, parmi beaucoup d'autres, le chant qui accompagne la bénédiction des eaux à la Théophanie (La Voix du Seigneur sur les eaux...). Aucun autre chant n'est chanté sur œ même air, et il faut connaître chaque idiomèle en particulier.

2. Les automèles ou mélodies propres

Il s'agit de chants originaux ou modèles, composés pour un seul chant très important, mais dont 
la mélodie sert de support à divers autres chants, dont les paroles sont, bien sûr, différentes. Tels 
sont par exemple :
du 1°  mode:
le tropaire du dimanche (Scellé de la pierre parles Juifs...),
du 2° mode :
le kondakion de saint Syméon le Stylite (Cherchant les choses d'en haut...)
du 3° mode :
le kondakion de la Nativité du Christ (La Vierge en ce our...)
du 4° mode :
le kondakion de l'Exa|tation de la sainte Croix (Élevé en croix volontairement...)
du 5° mode :
le tropaire du dimanche (Fidèles, chantons et adorons...).
du 6° mode :
le kondakion de l'Ascension (Ayant accompli l'économie...)
du 7° mode :
le second hirmos de la 3° Ode du Canon de la Nativité de la Toute-Sainte (Mon cœur est affermi
dans le Seigneur...)
du 8° mode : le kondakion de l'Annonciation (À toi, I'invincibIe...)
et beaucoup d'autres, qu'il convient de savoir par cœur.

Sur nos partitions, dans le cas d’un tel automèle, on peut voir, à gauche sous le titre, par exemple : «mode 1, modèle de nombreux tropaires et kondakions»

3. Les prossomions (ou «prossomia» pour utiliser le pluriel grec) = les semblables

Ce sont des chants dont la conduite mélodique et le rythme sont identiques ou quasi identiques à ceux d'un automèle précis, seules les paroles sont différentes. Dans les livres liturgiques grecs, on mentionne, avant le texte d'un tel chant, le mode et les premiers mots de l’automè|e qui lui sert de modèle. Par exemple, avant le kondakion de la Nativité de saint Jean le Précurseur  (Celle
qui était stérile...) on voit écrit : 
Ἦχος γ’. Ἡ Παρθένος σήμερον (= Mode 3, La Vierge en ce jour...),
d’où le chantre saura qu’il lui faudra chanter le kondakion de la Nativité de saint Jean le Précurseur (Celle qui était stérile...) sur le mode 3 et l’air du kondakion de la Nativité du Christ (La Vierge en ce jour...) – qu’il sait par cœur.
Sur nos partitions, dans le cas d’un tel prossomion, on peut voir, à gauche sous le titre, par exemple : mode 3, air : La Vierge en ce jour...

Vous vous demanderez alors : pourquoi faire des partitions musicales de chaque prossomion à chanter, alors qu’ils suivent la mélodie d’un automèle que l’on connaît par cœur ? Ne suffirait-il pas de mentionner dans les livres liturgiques, à l’instar des Grecs, de quel automèle nous devons suivre la mélodie ?

Eh bien, malheureusement, si cela suffit pour les chants en grec, cela ne suffirait pas pour les versions françaises des mêmes chants, car il est pratiquement impossible de traduire en français les chants grecs de telle sorte qu’ils répondent à tous les critères requis. Je m’explique :

Les paroles des prossomions grecs ont été composées dès l’origine de façon à pouvoir correspondre parfaitement à la mélodie et au rythme de l’automèle qui est leur modèle, exactement comme s’il s’agissait d’autres strophes d’une même hymne.

En revanche, les traductions françaises qui existent, si elles ont été faites dans le même but et avec la même intention louable, ne suivent, la plupart du temps, que très approximativement la prosodie1 de l’automèle. L’indication, dans les livres du Ménée, des segments de texte limités par des astérisques et pouvant correspondre à des phrases musicales de la mélodie byzantine est très utile, mais malheureusement insuffisant.

Essayez de chanter les paroles de la Marseillaise sur l’air exact de «Au clair de la lune» syllabe par syllabe par exemple, et vous verrez : la difficulté serait pratiquement la même. Pour garder approximativement la conduite mélodique de «Au clair de la lune», vous serez obligés soit de modifier la quantité de certaines de ses notes, la longueur de ses syllabes musicales, voire son rythme. Au pire des cas, vous devrez aussi modifier les paroles même, ou du moins l’ordre des mots de la Marseillaise, ce qui – étant donné la rigidité des règles concernant cet aspect de la langue française – s’avère parfois impossible. Je ne nie pas que certains chantres soient capables de telles improvisations géniales, mais... pour créer avec plus ou moins de bonheur les versions françaises, on est forcément amené à modifier tant soit peu la mélodie des prossomia en fonction des paroles, qui n’ont pas la même prosodie que celles de l’automèle correspondant, ou les paroles – sans toucher au sens, bien sûr.
Nous ne parlons pas maintenant des inexactitudes, maladresses ou même des cacodoxies qui se trouvent dans certaines traductions, faite par des traducteurs hétérodoxes, et qu’il faut corriger. Parfois une telle correction est utile aussi sur le plan prosodique, mais c’est une autre question.
Pour résumer, on peut dire que, en attendant l’arrivée d’un saint mélode orthodoxe parfaitement bilingue (grec-français), ayant fait les études requises pour l’apprentissage du chant byzantin, qui fera un travail parfait, le résultat de toutes les tentatives de créer et de chanter byzantin – en dépit des meilleures volontés et des efforts constants – ne peut être que provisoire. 

Voici maintenant quelques automèles à apprendre pour se familiariser avec les mélodies les plus fréquentes :
1er mode : Scellé de la pierre..., À la voix de Gabriel..., Les soldats gardant ton sépulcre...
2e mode : Cherchant les choses d’en haut..., L'Enfantrice de Dieu qui veille...
3e mode : De la beauté de ta virginité..., La Vierge en ce jour..., Apôtres venus vous réunir..., Au milieu des dangers...
4e mode : Viens vite prévenir..., Tu as apparu en ce jour..., Tu as accueilli..., Ta brebis, ô Jésus...,, Élevé en croix...
5e mode : Fidèles, chantons et adorons...
6e mode : Ayant accompli..., Les puissances angéliques...
7e mode : Mon cœur est affermi dans le Seigneur...,
8e mode : À toi, l’invincible..., Comme les prémices de la terre..., Ayant bien compris...

1 La prosodie est le rythme d’un texte, rythme régi par les accents, les quantités syllabiques (syllabes brèves ou longues) les intonations, etc.